Incendies en Sicile

été 2023

Ferme de Mario Cutuli - avocatiers plantés dans le cadre des "Co-Productions d'Avocats" en 2017.

Une petite mise à jour de la situation de nos fermes :
- Mario Cutuli est en train de remettre en état son système d'irrigation et tente encore de sauver les plantes qui ont subi un coup de chaleur. La quasi totalité des arbres qui ont été touchées par les flammes sont morts mais nous espérons que certains portes-greffe repousseront et nous verrons s'il est encore possible d'y effectuer de nouvelles greffes. Sa production d'avocats ainsi qu'une grande partie de sa production de citrons ont été réduites à zéro. La perte de revenus est estimée à environ 20 000 €,  sans compter la perte de production pour les années à venir et le remplacement des arbres morts.
- AnnaLisa et Salvo de la Ferme Don Cecè ont perdu environ 70 % de leur production d'avocats pour cette saison. En revanche, ils n'ont pas subi de perte significative de la production de citrons.
- Cinzia et Diego de la Ferme Bagolaro ont perdu 100% de leur production de raisin, auquel il va falloir ajouter le coût de la cueillette des grappes séchées encore accrochées à la vigne pour tenter de sauver la production de l'an prochain. Leur agrumeraie et une grande partie de leur bosquet ont quant à eux été détruits.
- Franceso Morabito a perdu entre 35 et 40 % de sa production d'avocats pour cette année mais les arbres ne semblent pas avoir subi de dommages importants.
- Gaetano Bufalino et Teresa Basile n'ont pas subi de dégâts liés aux incendies mais deux jours de canicule à 47° C la semaine dernière, un vent d'ouest et un taux d'humidité d'environ 5 % ont provoqué la chute de plus de 7% des avocats de leur nouvelle plantation.
- Michele Puglisi a vu sa vieille plantation de citronniers partir en fumée. Bien que les citronniers ne soient plus très productifs, il avait remis en état en 2020 tout le système d'irrigation et planté des patates entre les arbres. Il ne reste plus rien, ni de l'agrumeraie, ni du système d'irrigation.

Bonjour à toutes et à tous,


Merci pour vos nombreux témoignages d'affection et d’inquiétude.

Il y a quelques jours, après avoir visité plusieurs de nos fermes et participé à notre dernière assemblée générale, des ami.e.s d’un supermarché coopératif autrichien sont venu.e.s passer la soirée dans ma ferme. À quelques kilomètres de l'endroit où nous dormions, d’immenses flammes illuminaient la colline d'en face. Très inquiets que le feu puisse arriver jusqu’à nous, ils m’ont demandé si nous étions en danger. En essayant de les rassurer, je crois avoir lu une étrange stupeur dans leurs yeux et à leur question “Mais c’est normal ce qu’il se passe ?”, ma réponse a été : “Tristement normal oui, ça arrive tous les ans”.

Le lendemain matin, les premières informations sont arrivées : la réserve naturelle de la Timpa d’Acireale a brûlé. Même chose pour la réserve de Pantalica. Des incendies partout à Syracuse, Catane, Palerme… Les mêmes nouvelles horribles sont arrivées depuis toutes les provinces. Nous nous sommes immédiatement appelé.e.s pour prendre des nouvelles des un.e.s des autres et comprendre ce qui s’était passé, nos voix brisées par la colère et les pleurs.
Heureusement, la plupart d'entre nous n'a subi aucun dégât et a vu les incendies seulement de loin. Les fermes touchées, non pas par les flammes, mais par les vents brûlants, doivent encore évaluer l'étendue des dégâts. Cette nuit-là, les 45° de l'air ont endommagé les plantes, entraîné le dessèchement des feuilles et des pertes de production encore difficiles à estimer. Hier, Francesco Morabito (Giarre) nous a communiqué qu’il avait perdu plus de 50% des avocats de son verger. Quant à Annalisa et Salvo de la ferme Don Cècè (Acireale), ils doivent encore faire l’état des lieux des ravages.

Pour d’autres, la situation est encore plus grave. Cinzia et Diego de la ferme Bagolaro (Mascali) et Mario Cutuli (Acireale) ont passé la nuit entourés par les flammes, impuissants. Ils ont réussi à sauver le matériel agricole mais les cultures et systèmes d'irrigation n’ont pas résisté. Mario parle de la moitié de son verger brûlé et de l’impossibilité d’arroser l’autre moitié parce que les tuyaux d’irrigation ont fondu. Même chose pour Cinzia et Diego. Leur bosquet est ravagé, la vigne pourra "peut-être" être sauvée et tout le système d’arrosage est à refaire. “Heureusement” l'agrumeraie était ancienne.

Nous attendons des nouvelles des autres membres qui ont encore besoin de temps pour comprendre comment leurs cultures vont réagir dans les prochains jours.

C’est normal.

Normal que la ferme de Mario qui a conquis la plupart des visiteurs ami.e.s du Consortium par sa beauté (vue sur l'Etna d'un côté et la mer de l'autre) - soit gravement touchée. Il faudra des années pour qu'elle redevienne productive et enchanteresse. 

Normal que Cinzia et Diego, après avoir consacré leur quotidien ces dernières années à prendre soin de la terre et redonner de la dignité à l'agriculture, doivent chercher les plantes survécu au feu parmi les cendres et la terre brûlée.

Normal que chaque été, nous agricultrices et agriculteurs, soyons angoissé.e.s à l’idée de nous éloigner plus de quelques heures de nos fermes, avec la peur de ne rien retrouver au retour et que le même scénario se répète à l’infini.

Normal de s’habituer à voir sa terre violée, se sentir de plus en plus impuissant.e.s et penser que tout le travail que l’on a réalisé, les projets et l’envie d'aller de l'avant sont juste une perte de temps.

Aujourd'hui, c'est dans cet état d'esprit que nous sommes. Pas envie d’être courageux, ni de raconter la Sicile belle et combattante.
Aujourd'hui, nous sommes comme cela, en colère et dépités et tout ce dont nous avons envie est de giffler ceux qui gouvernent mal cette terre.
Des millions d’euros ont été investis pour relancer l'Italie, au profit de grandes infrastructures comme le pont du détroit de Messine qui rattachera finalement la Sicile au reste de la botte.

Si nous ne commençons pas à exiger sérieusement que chaque centime soit utilisé pour la protection du territoire, la reforestation, la restauration de la fertilité d’une terre à l’agonie, la préservation de notre île autrefois surnommée "le jardin de la Méditerranée", dans quelques temps, trop peu de temps, nous n'aurons plus grand chose à raconter.

Demain, nous nous relèverons et reconstruirons ensemble ce que nous avons perdu. Aujourd'hui, malgré vos nombreux messages de soutien, nous n'avons pas encore la force de le faire mais c'est sans doute normal.

Nous vous embrassons, vi vogliamo bene.

Mico et les Galline Felici

PS : j'ai écrit ce texte immédiatement après les événements qui se sont produits. Après quelques jours et à tête reposée, ma colère s'est un peu dissipée, ce qui n'est malheureusement pas le cas de ceux qui ont subi des dégâts plus importants. Le Consortium agit déjà en soutenant les plus "malchanceux" même si parler de "malchance" me donne clairement la boule au ventre.